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Durant les années 1930, mes camarades de jeux et moi étions des garnements bruyants et turbulents. Á cette époque les écoles fermaient leurs portes le jeudi entier. Pour nous, enfants des rues de Toulon, c'était un bonheur sans pareil, et spécialement le matin.

Nous poussions les commerçants du pourtour de la cathédrale à un état d'énervement extrême. Chassés avec pertes et fracas, nous allions porter en d'autres lieux notre surplus d'énergie.

Ainsi, le carré du port, les quais Cronstadt, de la Sinse et du Parti nous voyaient arriver, courant en tous sens dans des jeux de poursuites, nous bagarrant avec une violence plus ou moins dosée. L'heure de midi nous trouvait haletants, sales et fatigués. Notre jeunesse nécessitait des espaces que l'école et nos logements exigus nous refusaient.

La matinée passait toujours trop vite, et c'est avec tristesse que nous voyions l'après-midi arriver !

En effet, le patronage de Montéty nous attendait, et ce n'était pas de notre plein gré que nous nous y rendions !

Nos parents, sur les conseils des ecclésiastiques de la paroisse, nous y obligeaient. Notre devoir, disaient-ils, était de jouer plus calmement et de nous rapprocher du Seigneur qui voyait et entendait tout. Et il nous punirait si nous ne nous amendions pas.

Emplis de rancœur et la tête basse nous nous soumettions à ce point de vue qui n'était pas le nôtre. Dès le repas de la mi-journée terminé, nous prenions le chemin de l'institution religieuse destinée, vouée à exercer une stricte surveillance sur nos jeunes et impétueuses existences.

Trois itinéraires se présentaient pour rallier Montéty.

Le premier, partant de la place de la Cathédrale, suivait le cours Lafayette et la rue de Lorgues, traversait la place Noël Blache, prenait la rue Militaire (François Fabié) et le pont de l'Arsenal de Terre. Passé ce pont, nous prenions sur notre gauche et, par le boulevard du Nord (Commandant Nicolas) nous arrivions après un kilomètre au droit du patro.

Le deuxième itinéraire, toujours depuis la Cathédrale, passait par les rues commerçantes : Émile Zola et Hoche, place Puget, détroit des Dardanelles (rue Raimu), place Victor Hugo, boulevard de Strasbourg. Depuis la place de la Liberté nous remontions la rue de Chabannes qui débouche face au tunnel de Montéty. Passant ainsi sous les voies du PLM, nous retrouvions le boulevard du Nord.

Mais, l'itinéraire qui avait toute notre préférence était, jusqu'à la place de la Liberté, identique au précédent. Nous remontions la diagonale de la place jusqu'à la chapelle des Pères Maristes, puis, par la rue Peiresc nous retrouvions l'avenue Vauban  jusqu'au bâtiment voyageurs de la gare. Par le boulevard Pierre Toesca, nous avions alors une centaine de mètres pour arriver à la passerelle qui enjambe les voies, face à la rue Chalucet.

Là, notre intérêt s'éveillait !

Nous nous installions à l'aplomb de la voie ferrée par laquelle arrivait l'express en provenance de Marseille. Nous savions, par expérience, que le mécanicien lâchait de la vapeur en cet endroit. Nous attendions alors avec impatience ce nuage blanc qui, nous enveloppant de fumée humide, prouverait l'existence de notre courage viril ! Mais, ce mépris du danger n'était pas du goût des plus jeunes d'entre nous. Craintifs et pleurnichards, ils étaient victimes de nos sarcasmes et taquineries. Jeunesse sans pitié pour les plus faibles...

Tout cela, bien évidemment, nous mettait en retard. Heureux de l'instant passé, nous reprenions vite le chemin du patronage, proche de la chapelle Montéty.

Le brave abbé Sasia, l'air faussement fâché, nous montrait le chemin de la chapelle, nous criant d'une voix enflée «Allez dire bonjour au Bon Dieu, et ajoutez-y trois Pater et deux Ave pour la peine que vous lui faites !»

Sous sa surveillance, car la confiance faisait défaut, nous marmonnions des prières qui n'avaient qu'un rapport lointain avec celles imprimées dans le missel...

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