Premier bombardement allié : 24 novembre 1943

Toulon a connu dix bombardements entre juin 1940 et août 1944. Le premier fut italien le 13 juin1940 et se solda par un mort et plusieurs blessés civils. Puis l'Italie changea de camp. Les neuf autres bombardements furent anglo-américains,  il sera question des deux premiers dans ce chapitre et le suivant.

 

En ce début d'après-midi du mercredi 24 novembre 1943, je pédalais sur le vieux vélo de mon patron en direction du quartier éloigné du Pont-du-Suve. Je devais y effectuer quelques travaux de menuiserie chez un particulier.

Passant sous la porte d'Italie, il me vint à l'esprit que j'avais oublié mon laisser-passer, mon Ausweis. Ayant subi deux contrôles la veille, je jugeais prudent de rebrousser chemin. En cette période trouble de l'Occupation il était utile de prendre des précautions. Muni de l'Ausweis, j'enfourchais à nouveau le vélo. Je repassais tout juste la porte d'Italie lorsque mugirent les sirènes de la Défense Passive.

À cette époque, les sirènes sonnaient souvent, sans que cela précède un bombardement. Je m'en inquiétais, sans plus. Je débouchais sur le Champ de Mars quand la batterie de défense aérienne de la Rode se déchaîna. Je compris alors que quelque chose d'inhabituel allait se passer.

À l'entrée du quartier de Saint-Jean-du-Var, un souffle puissant me projeta à terre. Des bombes étaient lâchées sur le Mourillon et la ville !

Je restais allongé quelques secondes contre un muret. Je savais que des caves proches étaient aménagées en abris. Je repris alors le vélo et me dirigeais à grands coups de pédales vers la place Mermoz. Là, à l'angle des boulevards Sainte-Catherine et du Maréchal Joffre se trouvait un poste de secours immédiat. Je m'y terrais patiemment jusqu'au terme du bombardement.

La fin de l'alerte sonna vers 13h30. Je sortis aussitôt de l'abri dans une avenue encore déserte. Isolée, plus loin vers Saint-Jean, une rame de tramway était immobilisée faute d'électricité.

Reprenant le vélo, je retournais vers la ville et, repassant sur le lieu de ma chute, je vis où la bombe était tombée : au centre d'une cour pavée, un énorme entonnoir entouré de hangars éventrés à une trentaine de mètres seulement de l'endroit où j'avais été soufflé... Je pouvais croire en ma chance ! Rétrospectivement j'en devins moite.

Je ne m'attardai pas plus longtemps et me dirigeais vers la ville, ma maison. Anxieux. La maison était intacte, mes parents sains et saufs. Je respirais mieux !

À proximité, le vieux quartier de Besagne était méconnaissable : rues encombrées de gravats et décombres en tous genres. Des équipes travaillaient d'arrache-pied à extraire les gens emmurés dans les caves. Avec comme seuls moyens des pelles et des pioches le travail était long. Combien d'heures d'efforts pour libérer ces ensevelis... L'évacuation de la terre et des pierres se faisait à l'aide de couffins et de bourriches. On alignait les gravats le long des murs afin de dégager les rues et permettre le passage des secours. Certains passeraient une mauvaise nuit dans un local sans éclairage.

Je me mis à aider ces volontaires et travaillais jusqu'à tard dans la nuit. Fourbu mais heureux d'avoir fait mon devoir, je dormis comme une souche, sans une seule pensée pour le client qui m'avait attendu en vain... Demain il ferait jour !

 

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Gauche : Rue de Gars depuis rue de La République - nov. 1943 - Photo Gabriel Bonnafoux

Droite : le port en 1944 - Photo Gabriel Bonnafoux

Quelques données techniques

Alerte : 13h10

Début du bombardement : 13h18

Durée : 12 minutes

64 avions répartis en 3 escadrilles

300 bombes lâchées non-compris celles tombées en mer ou dans les arsenaux

Poids des bombes : 250 et 500 kg

Sens de vol : est-ouest

Morts civils : 484 dont 150 femmes et 50 enfants

Blessés : 400

Un rescapé indemne fut dégagé des décombres 4 jours plus tard.

Points de la ville particulièrement touchés

- Centre-ville : rues Félix Brun, St-Cyprien, de Gars, de la République, Étienne Pélabon, du Mûrier et quai de la Sinse

-Port Marchand : quai Bonaparte et place Pasteur

-Mourillon : Bd Bazeilles, rues Muiron, Castillon, Lamalgue, Aufan, Montauban et Castel

-Champ de Mars : entre l'av. Ernest Reyer (actuellement François Cuzin) et la rue Eugène Sylvain

-Pont-du-Las : av. du XVe Corps et rue Sagne

-Valbourdin : rue Janvier

Ce bombardement meurtrier fit ressortir la nécessité de créer de nouveaux abris et de continuer l'aménagement des caves par des passages pratiqués dans les murs pour permettre une intercommunication.

Le Service des Domaines donna l'autorisation à la ville de Toulon d'utiliser, pendant la durée de la guerre, les fortifications. On rendit praticables les accès des souterrains profonds. Cela augmenta de beaucoup la capacité d'accueil et rassura la population.

Les alertes devenaient fréquentes. De jour comme de nuit, le moindre appareil volant signalé dans la zone de surveillance déclenchait une alarme générale et les sirènes retentissaient. La ruée se faisait alors vers les abris.

Des habitudes dont les gens se seraient bien passé avaient été prises et, par accord tacite, chacun retrouvait sa place en un temps record. Il y avait très peu de traînards. Dans ces abris, malgré la situation inquiétante, on discutait, on échangeait des renseignements utiles sur le ravitaillement, la problématique distribution de saucisses en vente libre chez le charcutier du coin, les denrées vendues au marché noir... Se nourrir était le souci majeur de cette époque.

Lorsque sonnait la fin de l'alerte, c'était un peu comme si l'on sortait d'une veillée chez des amis. Les épreuves endurées en commun rapprochaient les gens de conditions diverses et pour peu on se serait donné rendez-vous pour la soirée suivante.

Mais quelle triste époque ! Le Petit Var*, journal local, avait publié ce court article la veille de Noël : "Noël sans joie, sans bougies, sans un sapin, sans bûches dans la cheminée, sans oranges et avec un "gros souper" à base de fenouil. Faites "Petit Jésus" que sonnent les cloches de nos églises, non pour donner l'alerte, mais simplement pour fêter votre anniversaire."

 

*Le Petit Var, quotidien républicain socialiste, fut fondé à Toulon en 1880 par le maire de la ville Henri Dutasta qui en devint le rédacteur en chef. Il fut par la suite racheté par Pierre Laval puis, par Raymond Patenôtre.

L'ordonnance du 22 avril 1944 ne lui permit pas de reparaître à la Libération.

Rappelons que Pierre Laval fut fusillé le 15 octobre 1945 à la prison de Fresnes car condamné pour haute trahison et complot contre la sûreté intérieure de l'État français.

 

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