Chaque ligne a son numéro gravé dans la mémoire des Toulonnais. Á tout seigneur tout honneur, la 1 traverse la ville de l'Escaillon à la Valette. Elle bénéficie en priorité de voitures moins archaïques et même du dernier cri en matière de tramways. La 7 dessert le Cap-Brun, la 9 le lointain Pont-du-Suve. La 3 relie la gare au Mourillon. Son tracé dans la ville tient du slalom. Le véhicule se faufile entre les maisons sans jamais les égratigner. Certains prétendent qu'il se tord...
La 5 et la 6 montent respectivement (et péniblement) de la rue de Lorgues à Dardennes et aux Routes. Les trams affrontent de nombreux croisements régulés par des feux de circulation. La voie devenant unique à partir de Saint-Roch, il arrive que l'un des deux trams venant en sens inverse brûle le feu et se retrouve nez à nez avec son homologue. En ce cas, les conducteurs descendent de voiture et commencent une discussion, plus ou moins courtoise, pour déterminer lequel rebroussera chemin.
Au printemps, les voyageurs du dimanche empruntant ces lignes agrestes reviennent les bras chargés de genêts ou de glaïeuls sauvages cueillis sur les pentes des Pomets ou du Revest.
Les face-à-face inopinés ne sont pas les seules péripéties des tramways. Un collecteur en panne oblige les passagers à finir le trajet à pied s'ils n'ont pas la patience d'attendre la dépanneuse. La perche, elle, abandonne volontiers son fil d'Ariane nourricier et dévide son câble d'une seule traite comme un trébuchet. Là, il suffit de tirer sur la perche baladeuse pour la remettre en place et repartir. Il n'est pas rare de voir des garnements profiter d'un arrêt pour décrocher la perche et s'enfuir à toutes jambes sous les justes imprécations des voyageurs...
Les aiguillages à main offrent à l'usager une distraction bienvenue. Le receveur descend de voiture armé de son sabre, un levier en forme de canne qu'il traîne sur les pavés jusqu'au boîtier de manœuvre (4). Celle-ci effectuée, il remonte dans le véhicule qui a commencé à rouler... si toutefois la maudite perche n'en profite pas pour s'envoler une fois de plus !
Les parcours s'accomplissaient dans la bonne humeur jusqu'au terminus où wattman et receveur s'en allaient boire un petit coup au plus proche bistrot avant d'inverser la perche, changer de plateforme et repartir vers le centre-ville.
Les Toulonnais appréciaient le pratique de ce mode de locomotion. Au fil du trajet et des attentes on faisait connaissance avec ses voisins de quartier car on se retrouvait à la même heure tous les matins. Plus d'une idylle s'est ébauchée grâce à la RMTT ! On prenait le temps de vivre, les trams allaient leur petit bonhomme de chemin sans précipitation, fiers de leur importance. Pendant la guerre, la pénurie d'essence augmenta leur usage. Je les ai vu, lors d'alertes, charger un maximum de passants afin de les éloigner au plus vite des zones menacées par les bombes. Ainsi, ils ont humblement contribué à sauver des vies...